TABLEAUX MODERNES, ECOLES BRETONNES
samedi 4 mai 2019 à 14:30

Lot 189 Emile BERNARD (1868-1941) « Le Parc en A

Emile BERNARD (1868-1941) « Le Parc en Automne » hst marque à la feuille d'érable et datée (18)90 en bas à gauche 48x60 ("Frais à 14,40 % pour ce lot). Provenance : Collection Paul Sérusier/Henriette Boutaric. Acquis vers 1970 par Nicolas Pesce, à Châteauneuf du Faou à l'Atelier Paul Sérusier. Collection particulière.

Fin 1889, Émile Bernard, alors âgé de 21 ans, abandonne la peinture pour apprendre le dessin industriel à Lille et à Calais. Sa famille décide de ne plus subvenir à ses besoins et lui demande de trouver un travail alors qu’il souhaite se marier. Cet apprentissage étant un échec, Bernard se retrouve seul et désargenté à Paris durant l’été 1890. Sans avenir, il doit renoncer au mariage. La mort de son ami Vincent Van Gogh le 29 juillet ajoute à son désarroi. Il projette alors d’accompagner Paul Gauguin outre-mer. Mais ce nouveau projet sera voué à l’échec. Fin août, il rejoint la maison familiale située au 5 avenue Beaulieu à Asnières. Le mois de septembre est consacré à l’exposition des œuvres de Vincent Van Gogh qu’il organise avec Théo, le frère du peintre. Toujours à la recherche d’un travail, il sollicite l’intervention de ce dernier mais sans succès. Dans ce contexte difficile marqué par des interrogations, Bernard peint à l’automne ce paysage apaisé d’une une propriété dans un parc. Il apporte volontairement peu de précisions dans la description architecturale de la maison dont on devine les masses et les ouvertures. Le premier plan du parc est construit à partir d’un réseau d’« arbres traversant », suivant l’esprit des estampes japonaises et l’exemple de Paul Cézanne, et d’un écran constitué par les frondaisons vertes ou automnales. Celles-ci, simplifiées en larges aplats cernés suivant l’esprit du synthétisme pontavénien, sont peintes d’une manière décorative. Aucune figure humaine n’apparaît : l’atmosphère du lieu importe plus que le lieu lui-même. On pourrait qualifier cette peinture de « portrait-paysage », peinte suivant un esprit symboliste comme le souvenir d’un moment serein ou privilégié. La propriété n’a pas été retrouvée, mais plusieurs hypothèses peuvent être émises. La première concerne Asnières. En face de la maison familiale de l’avenue Beaulieu, il y avait à ce moment-là une grande propriété avec la maison située à l’arrière (elle a été démolie et est aujourd’hui remplacée par une résidence). Bernard a passé son adolescence devant ce parc et cette belle maison bourgeoise en arrière-plan. Il est possible que, faute alors de projet, un peu contraint de demeurer là, il ait choisi de peindre ce qui s’offrait à ses yeux. La seconde hypothèse concerne Couilly, un village au sud de Meaux (on dit aujourd’hui Couilly-Pont-aux-Dames). Son ami Eugène Boch vient d’y acheter une maison. La disparition de Van Gogh a provoqué des retrouvailles avec ce camarade connu à l’atelier Cormon en 1884. Boch, disposant de ressources, cherche à constituer une collection et demande conseil à Bernard qui est invité à se rendre à Couilly à l’automne. Bernard y séjournera à trois reprises appréciant tout autant les promenades dans les environs et l’atmosphère du village que la compagnie de son ami. Il est donc également possible qu’il s’agisse de la maison du peintre belge. Mais il peut aussi s’agir d’une propriété dans les environs que fréquente le peintre à Asnières ou à la Grande Jatte. La toile est signée de la feuille d’érable (ou feuille de lierre selon certains) qui apparaît pour la première fois comme une signature sur les zincographies du printemps 1889 et que l’on retrouve sur quelques peintures de 1890 et 1891. Cet emploi correspond peut-être à sa réflexion, à ce moment-là, de créer une « société des anonymes » où, pour éviter les rivalités entre les membres, les noms de chacun seraient bannis sur les toiles. Ou bien est-ce une façon de faire à l’image des graveurs japonais ? Ainsi Claude-Émile Schuffenecker choisira la fleur de lotus cette même année 1890. Bernard a sans doute échangé la peinture avec Paul Sérusier vers 1892-1893, avant son départ de France. L’œuvre n’a jamais été reproduite ni exposée. Elle ne figure pas dans le catalogue raisonné de l’œuvre d’Émile Bernard. Béatrice Recchi Altarriba, petite-fille d’Émile Bernard, a confirmé l’authenticité de cette peinture qui sera incluse dans le catalogue raisonné de l’œuvre.

André Cariou

Estimation : 60 000 € / 80 000 €