TABLEAUX MODERNES, ECOLES BRETONNES
samedi 7 décembre 2019 à 14:30

Lot 149 Henry MORET (1856-1913)

Henry MORET (1856-1913) "Groix 1891" hst sbg située datée 73x92. Certificat de libre circulation en date du 10/08/2017. Certificat de Jean-Yves Rolland sera remis à l'adjudicataire

Commentaire :

Henry MORET (1856-1913) "Groix 1891" hst sbg située datée 73x92. Certificat de libre circulaire en date du 10/08/2017. Par une amusante coïncidence, l'année 1891 voit Paul Gauguin s'embarquer pour une île lointaine, Tahiti, et Henri Moret réussir un de ses plus beaux chefs-d'œuvre, en peignant ce remarquable paysage insulaire de l'île de Groix. Mais peut-être que le hasard n'explique pas tout... Evoquer la personnalité d'Henri Moret, c'est d'abord et avant tout se souvenir que cet artiste est le témoin et le compagnon de la première Avant-Garde qui se déploie en cette fin du XIXème siècle à Pont-Aven puis au Pouldu. La Bretagne est alors le creuset d'une authentique révolution artistique qui culmine dans les années 1888 jusqu'à 1891. Ainsi, et ne l'oublions pas, Henri Moret qui a bénéficié d'une solide formation académique dès son arrivée à Lorient au début des années 1870, est aussi un créateur affirmé qui s'intègre parfaitement au groupe formé autour de Gauguin. Au cours de ces années cruciales, il va sympathiser et peindre non seulement aux côtés de Paul Gauguin (ce dernier lui dédicacera en signe d'amitié un paysage côtier) mais aussi d'Emile Bernard, Paul Sérusier, Charles Filiger, Meijer de Haan, ... A l'évidence, durant ces années d'intense créativité, Henri Moret a ouvert ses horizons et élargi ses incontestables dons, passant d'une approche conventionnelle du paysage à un sens très personnel de la composition et des infinies nuances qu'offrent les touches du pinceau. 1891 apparaît donc véritablement comme une année cruciale dans la carrière de l'artiste. Au moment où tous les acteurs de l'Ecole de Pont-Aven se dispersent, Henri Moret, conscient d'avoir opéré une conversion picturale majeur, ce que Gauguin aurait appelé "le droit de tout oser", entame un nouveau parcours qui le mènera à la reconnaissance et au soutien du célèbre marchand, Paul Durand-Ruel. C'est aussi à compter de cette date que Moret devient le peintre incontesté des paysages insulaires de la Bretagne, depuis Ouessant jusqu'à Belle-Ile en passant bien sûr par Groix. Précisément, Groix sise en face de Lorient, est sans doute l'île dont les paysages auront le plus inspiré Moret. Habile navigateur et arpenteur infatigable des sentiers côtiers, Moret connaît le moindre recoin de cette terre accueillante et sauvage. La côte tournée vers le large l'attire et, pour ce magnifique paysage maritime, Moret a choisi de planer son chevalet à l'opposé du bourg de Port-Tudy, dans un des remarquables points de vue qu'offrent les falaises orientées vers l'océan. Cette anse, qui s'étale ici paisiblement sous nos yeux, décrit une partie du petit arbre qui ménage l'entrée du port Saint-Nicolas. Rarement, la réussite plastique d'une œuvre n'aura paru aussi convaincante. Moret est en pleine possession de ses moyens et confirme la géniale maîtrise des possibilités ouvertes par l'Ecole de Pont-Aven et l'irruption du Synthétisme. Remarquons avant tout l'originalité du cadrage, on pourrait même parler de découpage !, qui fait jaillir les éperons rocheux selon un rythme parfaitement cadencé. A cela, on ne manquera pas d'ajouter l'audacieuse perspective plongeante du premier plan, habilement contrebalancée par le relief redressé de la falaise qui ferme le fond gauche de la toile. Nous voici donc devant une convaincante interprétation du sens de la composition inspirée de l'art de l'Ukiyo E, l'art de l'estampe japonaise dont on connaît l'influence centrale dans l'éclosion de l'Ecole de Pont-Aven. Mais, le souvenir de Gauguin est également éclatant si l'on se souvient de certaines de ses toiles majeures comme « Au-dessus du gouffre » (musée d'Orsay) qui offre le même modèle de perspective plongeante. Cette filiation "gauguinienne" est plus encore confortée par la présence, s'agit-il d'une forme d'hommage (?), d'une vache aux taches rousses qui vient humaniser ce vaste paysage et rappeler l'attrait que tous les peintres de Pont-Aven ont éprouvé devant les animaux des fermes. Dépassant le souvenir de Paul Gauguin, c'est aussi toute l'histoire de Synthétisme qui apparaît en filigrane dans cette œuvre. Car, l'usage du cerne, clairement visible en plusieurs endroits, permet de distinguer les volumes et de séparer les espaces. Au-delà d'une recette technique, cette admirable composition semble bien sûr rythmée par l'usage de traits ondulants. On admirera au passage la ligne serpentine du courant d'un bleu opalescent qui épouse les avancées rocheuses de la côte ou bien encore le sentier rosé affectant un discret zigzag. Nous l'avons dit, la plénitude de l'artiste est à son zénith en 1891 et l'enchantement que distille cette peinture trouve également sa source dans l'incomparable variété de touches adoptées par Moret. Ici, la virtuosité est de mise, depuis les robustes touches verticales disposées en bâtonnets qui décrivent les joucs du premier plan, en passant par les subtiles touches morcelées qui animent les flots étals ou enfin jusqu'au souvenir des couleurs posées en aplat pour les roches dénudées de la falaise. L’animation de ce pinceau agile insuffle une légère palpitation qui semble bercer une nature sauvage mais aussi attirante. Car, il faut bien parler enfin de l’autre travail de « synthèse » accompli par Moret et qui touche aux couleurs. En effet, si ce paysage s’appuie sur le réel, notre artiste a su en exalter les qualités en jouant des couleurs complémentaires et en haussant les tons de certaines teintes. Ainsi, cet or orangé ruisselant qui dévale des falaises, souvenir arrangé des fougères et de la bruyère fanées, rayonne au contact du bleu nuancé de l’océan. Les roches ocrées qui virent au grenat (Groix n’est-elle pas connue comme l’île aux grenats !), irradient non loin des verts tendres ou soutenus de la maigre végétation. Et voici qu’un paysage à l’apparence austère, par la grâce d’un pinceau expert, se transforme en symphonie colorée, véritable chef d’œuvre d’un peintre qui sait transformer le presque banal en espace du rêve. Moret ne s’y était pas trompé, lui qui avait choisi une toile de beau format pour exprimer ses nouvelles conquêtes, celle d’un peintre appelé par la grande « Histoire de l’Art ». Jean-Yves Rolland

Estimation : 220 000 € / 280 000 €