TABLEAUX MODERNES, ECOLES BRETONNES : Samedi 9 Décembre 2023
samedi 9 décembre 2023 à 14:00

Lot 442

Paul SERUSIER (1864-1927) "Bretonne et sa vache devant la chaumière d'Héléna au Pouldu" hst monogrammée bd circa 1890. 110x58 (rentoilage de conservation). Vente Brest 18 décembre 1977, n° 338. Provenance Collection Particulière. Catalogue raisonné Paul Sérusier. Certificat réf. P-008.PAY


Bibliographie :
Boyle-Turner, Caroline, Paul Sérusier, 1983, UMI Research Press, Anne Arbor, Michigan, reproduction du paravent fig. 27.
Guicheteau, Marcel, Paul Sérusier, 1976, Éditions Sides, Paris, n° 37 p. 204, reproductions p. 20 et 204.

Expositions :
1978-1979, Quimper, Rennes, Nantes, musées des beaux-arts, L'École de Pont-Aven dans les collections publiques et privées de Bretagne, n°85, reproduction.
1991, Pont-Aven, Musée de Pont-Aven, Paul Sérusier et la Bretagne, n°8, p. 32, reproduction p. 33.

Après avoir reçu la leçon magistrale donnée par Paul Gauguin en octobre 1888 à Pont-Aven, Paul Sérusier, alors âgé de 24 ans, comprend difficilement les principes du synthétisme. Il dira plus tard à propos des paroles de Gauguin : « Cette conversation me découvrait de nouveaux horizons encore bien nuageux. » Et il préféra exposer en 1889 au Salon des Beaux-Arts de Rouen une peinture très traditionnelle d’intérieur à Pont-Aven. La « leçon » du bois d’Amour ne sera vraiment comprise qu’au printemps 1889 au moment de l’exposition du Café Volpini et grâce aux réflexions théoriques de Maurice Denis.
Sérusier revient à Pont-Aven l’été 1889. Incapable de travailler seul sur le motif, il rejoint Gauguin au Pouldu. Il évolue alors d’une manière radicale, s’appropriant les principes du synthétisme par la simplification des plans colorés et la construction de l’espace. Ayant quitté Le Pouldu pour des obligations militaires, il y revient au début de l’été 1890 rejoignant Gauguin, Meyer de Haan et Charles Filiger installés à la Buvette de la Plage tenue par Marie Henry. Cette période lui est particulièrement fructueuse avec des chefs-d’œuvre comme Grands Sables au Pouldu, Laveuses au bord de la Laïta, Ramasseurs de goémon ou Chaumière aux trois mares. Dans ce dernier paysage (Virginia Museum of Fine Arts de Richmond, Virginie) on voit une chaumière sur la dune au-dessus de la plage de Bellangenet au Pouldu. Elle est distante de 700 mètres de la Buvette de la Plage. Remarquable par sa situation, son toit de chaume échancré et son avancée, cette maison qu’on appelle « la chaumière d’Héléna » figure sur plusieurs œuvres de Paul Gauguin, Wladyslaw Slewinski, Paul-Emile Colin, Maxime Maufra, Adolphe Otto Seligmann, Jules Le Ray ou Adolphe Beaufrère.
De retour à Paris, à l’automne 1890 ou l’hiver 1891, Sérusier reprend le thème de la chaumière comme sujet d’un vantail de paravent. Comme tous les peintres de sa génération postimpressionniste, il est influencé par les différentes formes de l’art japonais, des bois gravés aux éventails, en passant par les céramiques ou les paravents. Par ailleurs, comme ses camarades du groupe des Nabis, Sérusier, ne voulant pas se limiter à la « peinture de chevalet », cherche à s’exprimer à travers divers supports et techniques. Par sa hauteur, 115 cm, le paravent qu’il conçoit, - le premier dans ce genre -, n’a pas vocation à cloisonner une pièce mais est une sorte de « peinture-objet » où le peintre profite à la fois du format vertical de chaque vantail à la manière des kakémonos japonais et des relations entre les quatre vantaux. La simplification décorative prime. La plus grande part du paysage est occupée par la représentation de la dune face à l’entrée de la plage de Bellangenet, tel un grand aplat vertical d’un fond coloré presque oranger ponctué de taches ou de coups de pinceaux. Sur le vantail de gauche la chaumière et une femme portant le capot noir du Pouldu qui fait brouter sa vache, puis vers la droite des tas de goémon sur la dune, ensuite une femme lavant son linge à une source dominée par un saule et enfin sur le vantail de droite les premiers rochers de la falaise.
Ce paravent, connu par une photographie (Caroline Boyle-Turner, fig. 27), a été démembré à un moment et dans des circonstances qu’on ignore, sans doute à la suite d’un accident car certains vantaux ont été altérés et ont dû être réduits en taille (Marcel Guicheteau, n° 36 à 40, reproductions pages 20, 203 et 204).
Le vantail de gauche représentant la Bretonne et sa vache a été réduit de quelques centimètres en hauteur et séparé des autres. Mais par son isolement, son esprit japonisant est plus affirmé et il fait penser aux kakémonos dont le format vertical est accentué. La dissymétrie de la composition, le grand vide central, les fleurs rouges dans le coin en bas à gauche, le groupe de la femme et de la vache rejeté sur le côté droit et la situation de la chaumière en hauteur, sont également d’un esprit japonisant. Par la volonté de simplification du peintre, la technique semble au premier regard sommaire, mais elle est en fait d’un grand raffinement comme en témoignent le jeu des points blancs représentant les nuages et le réseau des traits verts correspondants aux herbes.
En deux ans, Sérusier est ainsi passé d’une peinture de style traditionnel aux plus étonnantes innovations de son temps.

André Cariou







Estimation : 80 000 € / 120 000 €