TABLEAUX MODERNES, ECOLES BRETONNES
samedi 6 mai 2017 à 14:30

Lot 255 Paul SERUSIER (1864-1927)

Paul SERUSIER (1864-1927) "Le battage du blé noir" ou "La batterie, Le Pouldu, 1890" Huile sur toile, signée bas gauche, datée 1890 - 46.5x61.5 cm. Références : - Marcel Guicheteau " Paul Sérusier " Catalogue raisonné, Volume 1, N° 17, reproduit p. 199 -Maurice Denis " Paul Sérusier ABC de la peinture, sa vie, son œuvre " reproduit p. 16/17 -Rovigo " I Nabis, Gauguin e la pittura italiana d'avanguardia " 17 septembre 2016-14 janvier 2017, n° 20 -Ancienne Collection Maurice Denis

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Expositions :

2002-2004, Valencia, Museo de Bellas Artes, Post-impresionismo, Escuela de Pont-Aven - Nabis (1886-1914), n° 101

2016-2017, Rovigo, Palazzo Roverella, I Nabis, Gauguin e la pittura italiana d’avanguardia, n° 20

Bibliographie :

Paul Sérusier, ABC de la peinture, suivi d’une étude sur la vie et l’œuvre de Paul Sérusier par Maurice Denis, Paris, Floury, 1942, reproduction en face de la page 16

Marcel Guicheteau, Paul Sérusier, catalogue raisonné, tome I, Paris, Side, 1976, n° 17

Provenance :

Collection Maurice Denis jusqu’à sa mort en 1943

Collection d’un enfant de Maurice Denis puis d’un petit-enfant

La fameuse leçon de Paul Gauguin à Paul Sérusier à Pont-Aven en 1888, celle du Talisman, n’a pas eu d’effets immédiats, car trop perturbante pour le jeune peintre. De retour dans la cité des moulins l’année suivante, celui-ci éprouva des difficultés à travailler sur le motif et à suivre les conseils de son aîné. Quelques jours de vie commune à l’hôtel Destais au Pouldu durant l’été 1889 le décidèrent pourtant à poursuivre dans la voie du synthétisme. Les peintures d’alors, comme la Jeune Bretonne à la faucille (collection particulière) ou Bretonne donnant à manger aux cochons (musée départemental Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye) traduisent des efforts de simplification, mais sont encore de conception traditionnelle.

Tout va changer en 1890. Début juillet, Sérusier rejoint Gauguin et Meijer de Haan au Pouldu à la Buvette de la plage. Il écrit à Maurice Denis : « Je vis entre Gauguin et de Haan, dans une salle à manger d'auberge par nous décorée et ornée. Je travaille un peu et j'apprends beaucoup. » Cette fois-ci la leçon a porté et il maîtrise tous les principes du synthétisme, en jouant d’aplats colorés simplifiés cernés de lignes décoratives et en usant de compositions innovantes.

Le Battage du blé noir, appelé par Maurice Denis en 1942 La Batterie, Le Pouldu montre une scène de battage dans la cour du hameau de Keranquernat. Ces quelques maisons aux toits de chaume sont situées à proximité de l’hôtel Destais aux Quatre Chemins.

Durant l’été 1889, Gauguin a consacré une toile (Courtauld Gallery, Londres) à une scène de travaux dans la cour. Sérusier a certainement vu ce tableau ou a-t-il été le témoin de son exécution.

Lors de son séjour suivant, en 1890, Sérusier s’inspire de ce lieu pour peindre plusieurs toiles. L’une décrit soigneusement la cour entourée de chaumières, que balaient plusieurs paysannes (Sotheby’s, New York, 17 novembre 1998). L’œuvre qui nous intéresse reprend les principes de celle de Gauguin, comme la place réduite du ciel et l’arrière plan constitué par l’alignement des toits des maisons. Le peintre déploie les divers personnages sur l’aire à battre dans la cour de la ferme. Ils sont appliqués, tels une frise décorative, avec une décomposition des mouvements, sur un fond horizontal et presque uniforme de couleur jaune, qui associe les chaumes des maisons, les meules et les épis en train d’être secoués. Le blanc non-peint de la toile, visible autour de certaines figures, et les quelques traits pouvant faire penser à une mise au carreau, nous disent que le peintre avait probablement l’intention d’aller plus loin dans une technique plus traditionnelle. Mais il a pris la décision d’arrêter son tableau, - et de le signer -, dans l’état. Plusieurs œuvres de cet été 1890 comme Les Blés verts au Pouldu du musée des beaux-arts de Brest montrent l’intérêt du peintre pour de tels effets de simplification colorée. Alors que les détails sont gommés et les visages réduits à une tâche de couleur, dénués d’expression, Sérusier manifeste de l’intérêt pour le dos des vêtements des femmes, non seulement pour leurs formes graphiques stylisées, mais aussi pour leur symbolique supposée. Il a du entendre Gauguin en parler : celui-ci donne une interprétation religieuse à la croix formée par le galon bleu foncé, comme dans une lettre à Vincent van Gogh, vers le 13 décembre 1889 : « Les costumes sont aussi presque symboliques influencés par les superstitions du catholicisme- Voyez le dos, corsage, une croix. »

Une autre représentation du lieu, Ferme jaune au Pouldu (vendue par l’étude Thierry Lannon le 19 décembre 1993) est plus simplifiée, sans personnages, presque abstraite.

Sérusier n’a que 26 ans lorsqu’il peint cette scène de battage qui, par chance, n’a pas été vernie, et a conservé son aspect mat, correspondant à ses intentions de son auteur. Cette toile remarquable, très peu montrée jusqu’à aujourd’hui, témoigne de son évolution fulgurante aux côtés de Gauguin, recherchant et trouvant des formulations plastiques innovantes qui le placent au premier plan du postimpressionnisme.

André Cariou

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Estimation : 150 000 € / 200 000 €